Édith Godefroid

Recherche en cours
J’aimerais explorer le rapport entre ce que l’on nomme réalité, d’une part, et le monde des perceptions, de l’autre. Par réalité, j’entends tout ce qui semble « solide », matériel et objectif. C’est ce qui existe au-delà des sens et est constitué de repères communs. Cela suppose une expérience univoque (ou du moins unanime) sur laquelle nous pouvons nous mettre d’accord. Par perceptions, j’entends le monde tel que nous l’expérimentons individuellement, expérience dans laquelle, en plus des aspects sensoriels, se trouvent également impliqués des processus cognitifs, tels que la pensée et l’imaginaire, mais aussi l’intuition et l’expérience. Le monde des perceptions serait donc investi de façon différente par chacun·e d’entre nous.
Cette distinction m’intrigue particulièrement lorsque les repères de la réalité objective viennent à s’effondrer. Ces effondrements sont des moments de rupture, où les points d’ancrage d’une réalité « solide » tombent pour faire place à une nouvelle situation, de façon subite et souvent inattendue. Dans ces moments, on dirait que les deux mondes (réalité et perceptions) ne sont plus distincts, ou plutôt que tout n’est plus que perceptions individuelles et qu’il est devenu impossible de s’accorder sur une réalité objective et matérielle, qui semble ne plus exister. Cela provoque un sentiment de solitude, lié à l’impossibilité de partager une perception unanime de nos vécus.
J’aimerais comprendre à quel point chacun·e vit seul·e dans ses perceptions et jusqu’où il est possible d’expérimenter des perceptions unanimes. Derrière cette idée de perceptions unanimes de la réalité, j’idéalise une forme de paix avec les autres et soi-même, ainsi qu’un vécu plus serein des effondrements.
La notion de repères me semble ici cruciale: je vois ces repères comme des points d’ancrage, des ponts entre réalité et perceptions. Leur caractère réel, objectif, voire absolu, nous permet de partager la réalité de façon commune et de la distinguer de nos perceptions individuelles.
Pour tirer le fil de cette réflexion, une première question a fini par émerger du flot d’interrogations qui m’accompagne depuis le début de mon processus de recherche : Sur quels repères nos perceptions individuelles peuvent-elles se raccrocher lorsque la réalité qui nous entoure s’effondre ?
Pour aborder ce questionnement, j’ai choisi de partir de situations concrètes, basées sur des expériences vécues (entre autres dans mon parcours humanitaire) au cours desquelles j’ai ressenti ces effondrements. La première de ces situations est celle d’Haïti, où je me suis rendue plusieurs fois, notamment suite au séisme de 2010.
À travers cette recherche, c’est aussi ma propre pratique artistique que j’aimerais interroger. Avec comme point de départ ici, un objet : un casque rose – à la fois lien métaphorique avec mon point d’entrée initial (« Les rêveurs d’élite » dans les années 1980, en plein conflit entre Israël et le Liban) et outil concret d’expérimentations. Cet objet, par son caractère ambigu, représente pour moi la possibilité d’un effondrement paisible.
Enfin, ce parcours de recherche, je souhaite le pratiquer en utilisant le plaisir comme indicateur de justesse, que ce soit dans mes explorations à partir des techniques de jonglerie ou de clown (qui me sont familières) ou à partir du corps (du mouvement et de la voix ; nouveaux mediums d’écriture pour moi). Je souhaite également aborder ce travail avec la naïveté du clown, m’inspirer de son humanité, prendre des risques de clown… pour tâcher de laisser libre expression à des formes et façons de faire qui me sont encore inconnues.
Edith Godefroid, février 2025
Photo: © Edith Godefroid
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Parcours à L'L
Après dépôt de candidature, Edith Godefroid entame sa recherche à L’L en mai 2024.
Devenir clowne, un rêve d’enfance… Un chemin tortueux, plein d’illusions, de révélations et d’embûches…
1976, découvrant le monde, un lundi de Pâques, en Wallonie (Belgique), Édith, habitée par cette envie clownesque, entame une enfance tranquille durant laquelle elle fera ses premiers pas dans l’art de la jonglerie. Elle ressent le besoin de mettre du mouvement et de l’aventure dans sa vie.
À 18 ans, elle décide de se diriger vers la marine, et poursuit un Master en sciences nautiques à l’école de navigation d’Anvers. Pleine d’idéaux et de rêves bohèmes, elle se confronte ensuite à un monde rustre et machiste dans lequel elle ne se retrouve pas.
Elle revient alors à son rêve d’enfance et rejoint l’école de cirque Carampa, à Madrid, qui lui fait découvrir les différentes techniques circassiennes et surtout sa première performance chaussée du nez rouge.
Après quoi, elle anime des ateliers de cirque et crée un spectacle de rue, Miss Tarratata. Puis, ressentant le besoin de contribuer à rendre ce monde meilleur, elle entame un parcours humanitaire qui durera 17 ans. Entre ses différentes missions, elle continue son activité d’artiste de rue.
En 2021, ayant eu son lot de remous et de voyage, Édith recherche l’aventure dans les pratiques artistiques et met le clown au centre de son activité. Elle crée un solo clownesque, Les amours de Gabrielle, un spectacle engagé contre les discriminations – de genre en particulier.
Pour pousser plus loin son exploration artistique, elle entame en 2024 une recherche à L’L avec le désir de titiller ses modalités d’expression à partir d’un sujet qui la trouble : qu’est-ce donc cette réalité à laquelle nous semblons être si attaché·es ?