Paola Pisciottano

Recherche en cours

Les documents ont une place importante dans ma pratique d’auteure-metteure en scène. Par document, j’entends : carnets de notes et récits personnels, entretiens avec des experts et/ou avec des personnes-ressources, interviews et articles de presse, images, etc. Autant d’éléments que je récolte en veillant tout particulièrement à leur fiabilité. À cette première démarche s’ajoute un travail de sélection et de montage, à partir duquel je compose et crée des formes scéniques.
Jusque-là, tout va bien…

Créer à partir de documents authentiques (ou en tout cas fiables) est un processus propre au théâtre dit « documentaire », tel que l’a défini notamment Peter Weiss dans les années 1960, et qui reste globalement valable aujourd’hui encore.
Si ce n’est que, depuis le début des années 2000, pour définir notre époque certain·es expert·es parlent d’ère « de la post-vérité » ou « post-factuelle ». Autrement dit, ielles considèrent qu’aujourd’hui les émotions et les opinions ont souvent plus d’impacts que les faits objectifs (avec les conséquences qui en découlent).
Dans ce contexte, le document n’a donc plus le même statut d’autorité, a perdu sa valeur probante (son statut de « preuve », de « vérité »).

Que faire de ce constat ?
Au lieu de s’attarder sur une critique aux contours réactionnaires (genre « c’était mieux avant »), je saisis ce changement de statut du document pour réexaminer certains fondamentaux du théâtre documentaire, et tirer les fils de ma recherche à L’L.

À l’origine, le théâtre documentaire entend « clarifier » des épisodes de l’Histoire ou de l’actualité contemporaine, et lutter contre la désinformation médiatique (documentum vient du latin docere, qui veut dire « montrer », mais aussi « enseigner »).
Dans le cadre de ma recherche à L’L, je souhaite questionner cette intention pédagogique du théâtre documentaire en donnant une place plus centrale à l’imaginaire en tant que capacité à faire en sorte que des choses qui n’étaient pas pensables puissent le devenir *.
Plutôt qu’utiliser les documents pour instruire tout en proposant, le plus souvent, une critique du réel sur scène, j’entends ainsi chercher à poser un geste plus « positif », plus porteur, à travers des formes susceptibles de donner/restituer/inspirer un pouvoir : la possibilité de penser et regarder autrement…

Parallèlement, je désire élargir la notion de document. Je considérerai en tant que documents plus uniquement des éléments que l’on peut strictement qualifier de fiables ou de probants : que ceux-ci proviennent de sites Internet, de réseaux sociaux (posts, commentaires), de vidéos postées sur des réseaux comme YouTube, de jeux vidéo ou encore, que ceux-ci aient été générés par des IA.

D’autre part, si le théâtre documentaire déploie son propos avant tout autour d’un seul sujet qu’il décortique, je souhaite adopter une autre approche qui consisterait plutôt en la construction d’une constellation de sujets. Au lieu de cadrer un sujet de loin et s’en approcher de plus en plus, je souhaite tester un autre mouvement : commencer par cadrer un sujet de tout près pour ensuite élargir le plan. Cette approche pourrait-elle me servir à explorer un sujet selon différents points de vue et ainsi permettre de le regarder autrement ?

Cette dernière interrogation m’amène au questionnement d’un autre fondement du théâtre documentaire : le choix des sujets abordés.
Dans mon parcours de recherche à L’L, je souhaite partir non pas d’un sujet « sérieux », mais plutôt d’un sujet banal, anodin, issu de la culture pop mais qui, une fois éclaté (inscrit dans une arborescence plus large), permettrait de faire résonner le politique, le sociétal.

Paola Pisciottano, septembre 2023

* Cette réflexion sur l’un des rôles de l’imaginaire s’inspire du rapport entre images et fictions développé dans « L’image et la fiction dans la pensée de Jacques Rancière », article de Andrea Soto Calderón (https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-philosophie-2018-2-page-185.htm).

Image: © Sébastien Delahaye

Parcours à L'L

Après dépôt de candidature, Paola Pisciottano entame sa recherche à L’L en septembre 2021.

« J’ai grandi dans l’Italie berlusconienne des années 1990.
Dans mon enfance, j’ai refusé d’aller à l’école maternelle, essayé de faire du tennis, de la danse moderne, du basket, du football, de la course à pieds, du volley-ball, du lancer de javelot, de la guitare classique… Parfois, je racontais à mon entourage que j’étais enceinte et que mon rêve était de devenir chanteuse comme Cher… Un jour, mon premier chat s’est fait écraser par la voiture de mes parents – et ça, je ne l’oublierai jamais…
Adolescente, je pleurais car je n’avais pas de seins, j’ai fait partie d’un groupe de rock, découvert une passion pour la natation, vu la Vierge Marie me faire un clin d’œil, commencé un cours de théâtre amateur, fait des performances avec des mannequins en plastique… Le théâtre a été une révélation, davantage que le clin d’œil de la Vierge.
Vers la vingtaine, je me suis retrouvée diplômée en Philosophie Esthétique (Alma mater studiorum – Università di Bologna), j’ai rencontré des acteurs du Living Theater avec lesquels j’ai joué dans des spectacles et, parallèlement, j’ai commencé à travailler dans une association qui s’occupait de voyages à vélo. Un jour, j’ai tapé sur internet “école mise en scène Bruxelles pas cher”. Quelques mois plus tard, je rentrais à l’INSAS (Institut national supérieur des Arts du Spectacle et des Techniques de Diffusion) à Bruxelles, d’où je suis sortie diplômée en 2017.

Depuis, je pratique la mise en scène et, jusqu’à présent, j’ai créé deux projets : c[RISE] et EXTREME/MALECANE. Tous les deux interrogent l’endroit où le privé et l’intime deviennent politiques, et ont pour matériau de base une série d’interviews et de rencontres autour de l’Europe avec des jeunes âgé·e·s entre 15 et 23 ans.
Par ailleurs, j’ai travaillé comme créatrice sonore et régisseuse avec, entre autres : Isabelle Pousseur (Last exit to Brooklin), Erika Zueneli (Allein!), Harold Henning (L’Œil nu), Yo Sup Bae (Strange beauty), le collectif Une tribu (La course).
Depuis 2018, je suis artiste résidente aux Ateliers Mommen à Bruxelles. »

Paola Pisciottano